home news forum careers events suppliers solutions markets expos directories catalogs resources advertise contacts
 
Market Page

Market data
Market data sources
All Africa Asia/Pacific Europe Latin America Middle East North America
  Topics
  Species
 

La filière semencière française : état des lieux et perspectives


France
July 31, 2015

Source

Rapport n° 612 (2014-2015) de M. Bruno SIDO, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 9 juillet 2015

N° 2967

 

N° 612

ASSEMBLÉE NATIONALE

 

SÉNAT

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

 

SESSION ORDINAIRE 2014 - 2015

Enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale

 

Enregistré à la présidence du Sénat

le 9 juillet 2015

 

le 9 juillet 2015

RAPPORT

au nom de

L'OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES

sur

LA FILIÈRE SEMENCIÈRE FRANCAISE :
ÉTAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES

Compte rendu de l'audition publique du 22 janvier 2015 et de la présentation des conclusions du 8 juillet 2015

PAR

M. Jean-Yves LE DÉAUT et Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députés, et M. Bruno SIDO, sénateur

Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale

par M. Jean-Yves LE DÉAUT,

Président de l'Office

 

Déposé sur le Bureau du Sénat

par M. Bruno SIDO,

Premier vice-président de l'Office

Composition de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques
et technologiques

Président

M. Jean-Yves LE DÉAUT, député

Premier vice-président

M. Bruno SIDO, sénateur

Vice-présidents

M. Christian BATAILLE, député M. Roland COURTEAU, sénateur

Mme Anne-Yvonne LE DAIN, députée M. Christian NAMY, sénateur

M. Jean-Sébastien VIALATTE, député Mme Catherine PROCACCIA, sénatrice

 

DÉPUTÉS

SÉNATEURS

M. Gérard BAPT

M. Christian BATAILLE

M. Denis BAUPIN

M. Alain CLAEYS

M. Claude de GANAY

Mme Françoise GUÉGOT

M. Patrick HETZEL

M. Laurent KALINOWSKI

M. Jacques LAMBLIN

Mme Anne-Yvonne LE DAIN

M. Jean-Yves LE DÉAUT

M. Alain MARTY

M. Philippe NAUCHE

Mme Maud OLIVIER

Mme Dominique ORLIAC

M. Bertrand PANCHER

M. Jean-Louis TOURAINE

M. Jean-Sébastien VIALATTE

M. Patrick ABATE

M. Gilbert BARBIER

Mme Delphine BATAILLE

M. Michel BERSON

Mme Marie-Christine BLANDIN

M. François COMMEINHES

M. Roland COURTEAU

Mme Dominique GILLOT

M. Alain HOUPERT

Mme Fabienne KELLER

M. Jean-Pierre LELEUX

M. Gérard LONGUET

M. Jean-Pierre MASSERET

M. Pierre MÉDEVIELLE

M. Christian NAMY

Mme Catherine PROCACCIA

M. Daniel RAOUL

M. Bruno SIDO

PROPOS INTRODUCTIFS

M. Jean-Yves Le Déaut, Président de l'OPECST. L'OPECST est heureux d'organiser aujourd'hui une audition publique consacrée aux semences et plus particulièrement à la filière semencière française.

Cette audition traduit l'intérêt croissant de l'OPECST pour les questions environnementales auxquelles il a déjà consacré plusieurs rapports et auditions publiques. La dernière en date s'est tenue en juillet 2014 à l'initiative de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi). Cette audition a permis de présenter la diversité des recherches menées par les organismes publics membres de l'Alliance et leurs retombées pratiques, mettant ainsi l'accent sur l'importance cruciale de la recherche environnementale pour le progrès et la compétitivité de notre société.

La présente audition entend souligner les enjeux tant pour la sécurité alimentaire que pour la biodiversité de la thématique des semences et présenter la filière semencière à travers ses acteurs.

La sécurité alimentaire constitue un des défis majeurs du XXIe siècle. Comment nourrir sept milliards d'individus sans gaspiller les ressources disponibles ? Dans ce débat économique, sociétal et environnemental, la filière semencière a un rôle essentiel à jouer. Les semences issues du patrimoine des végétaux que l'homme a domestiqués petit à petit, sont au coeur de l'agriculture. Aujourd'hui, le secteur des semences conserve ce patrimoine et l'enrichit en créant de nouvelles variétés adaptées aux besoins des agriculteurs, des transformateurs et des consommateurs.

Les semences sont un élément incontournable de l'alimentation humaine et animale. Le souci constant pour l'homme de sélectionner de nouvelles variétés afin d'améliorer les rendements et la résistance aux maladies remonte à plus de dix mille ans. Il a permis la révolution néolithique et le passage vers notre civilisation. Ce sujet a déjà été évoqué à propos de plusieurs autres thèmes, notamment celui des OGM avec le maïs et ses ancêtres, lors de débats passionnés dans cette même salle.

C'est un souci qui doit cependant aller de pair avec la nécessité de préserver la biodiversité. Notre planète est peuplée d'une multiplicité d'êtres vivants, végétaux, animaux et microorganismes en constante évolution et interaction avec leur milieu. La biodiversité exprime la variabilité sous toutes ses formes des organismes vivants. Elle a bénéficié d'une reconnaissance internationale à la suite du Sommet de la Terre à Rio de Janeiro où la Convention sur la diversité biologique a été adoptée. La France n'a pas été en reste dans ce domaine avec l'adoption, en 2008, des lois 1 et 2 du Grenelle de l'environnement dont la préservation de la biodiversité et des ressources naturelles a été l'un des objectifs majeurs.

En agriculture, la biodiversité a été très largement enrichie par l'homme à partir d'espèces sauvages qu'il a domestiquées. L'homme a ainsi créé des variétés pour les plantes et adapté ces dernières à ses besoins. Le patrimoine génétique des plantes sans cesse amélioré par leurs usages est contenu dans leurs semences ou graines. Aujourd'hui, des professionnels très spécialisés, les sélectionneurs, perpétuent ce travail sur des bases scientifiques en faisant appel notamment aux biotechnologies. Ils créent de nouvelles variétés à partir de variétés existantes, en croisant entre elles des plantes choisies pour leurs qualités respectives. Ensuite, les meilleures plantes sont sélectionnées jusqu'à obtenir une plante aves les qualités recherchées. Ainsi naissent de nouvelles variétés qui viennent enrichir la diversité agricole existante.

Compte tenu des enjeux économiques et sociétaux, la recherche dans le domaine des semences revêt une importance fondamentale.

L'audition d'aujourd'hui doit nous permettre de mieux connaître le rôle d'impulsion majeur joué par les grands organismes publics de recherche - et je remercie M. François Houllier, président d'AllEnvi et président directeur général de l'INRA, d'être là ainsi que M. Michel Eddi, président directeur général du CIRAD, et l'IRD - sans oublier la contribution à la recherche des groupes privés du secteur, qui consacrent une partie de leur chiffre d'affaires, de l'ordre de 15 %, à la création de nouvelles variétés. Je vous salue toutes et tous. Cinq cents nouvelles variétés potagères et agricoles sont inscrites tous les ans au catalogue français des espèces et des variétés.

L'audition d'aujourd'hui a donc pour objectif de mieux appréhender le dispositif français et de voir comment il s'articule avec la réglementation européenne et internationale. À cet égard, l'audition sera l'occasion d'étudier les avantages et les inconvénients des certificats d'obtention végétale (COV) rendus obligatoires en France depuis la loi du 8 décembre 2011 qui a actualisé la transposition par la France de la Convention révisée en 1991, un processus qui a mis beaucoup de temps. Je me souviens, à ce sujet, des débats de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales (UPOV).

Les COV constituent une particularité européenne. Les semences ne sont pas soumises à des brevets mais à ces COV. Ce modèle original et singulier de la propriété intellectuelle, selon l'ancien ministre de l'Agriculture, M. Bruno Lemaire, vise à un équilibre entre la protection du propriétaire et l'intérêt de l'utilisateur. En effet, le gouvernement a estimé qu'il existait un déséquilibre en défaveur des producteurs de semences (71 entreprises, 15 000 emplois directs en France) car beaucoup d'agriculteurs ne respectaient pas les COV. Nous aurons donc l'occasion de faire le bilan de ces COV et d'un autre type de semences, les semences paysannes. Je sais qu'il y a des débats à ce sujet et je souhaiterais que l'audition d'aujourd'hui permette effectivement de les faire avancer.

Plus d'un tiers des agriculteurs - environ 200 000 - utilisaient des semences issues de leur propres récoltes, appelées semences de ferme. La loi est venue mettre un terme à cette tolérance considérée comme une liberté pour les agriculteurs. Désormais, même pour resemer leurs graines, ils sont tenus de payer une taxe qui doit bénéficier à la recherche agronomique donc aux semenciers.

L'objectif est de défendre le secteur des semences, une filière d'excellence française. La France est le premier pays producteur de l'Union européenne et le deuxième exportateur mondial avec un chiffre d'affaire de près de 2,5 milliards d'euros dont un milliard à l'exportation.

Un des principaux arguments mis en avant pour défendre le COV est que, sans cette loi, c'est le modèle du brevet qui aurait pris le pas en captant ces nouvelles variétés performantes. J'ai été partisan de ces COV, contre le brevet. Le brevet, promu aux États-Unis, interdit purement et simplement toute réutilisation des semences. Le refus de la France de s'engager dans cette direction remonte à un arrêt de 1921 du tribunal de commerce de Nice qui statuait sur la demande de protection d'une variété d'oeillet. Il est important de souligner que plusieurs dizaines de pays dans le monde n'ont pas encore choisi leur mode de propriété intellectuelle applicable aux végétaux.

Au-delà du dispositif juridique, se pose la question de savoir jusqu'où il est possible de breveter le vivant. Nous avons également eu cette discussion. Le cas de la transgénèse, qui permet d'obtenir de nouvelles variétés, pose cette question. Et le cas de la cisgénèse sur lequel, je pense, vous allez discuter tout à l'heure, pose cette même question, en autorisant un droit d'accès au sélectionneur sous le régime du COV par la loi du 8 décembre 2004 sur la protection des inventions biotechnologiques.

Les débats, je le souhaite, pourront évoquer le traitement en droit de toutes ces technologies qui permettent la création de nouvelles variétés en exploitant la richesse du capital génétique de l'espèce elle-même - c'est la cisgénèse - comme le ferait une sélection massale accélérée.

L'aspect éthique de la question est resté en arrière-plan de ce débat technique et se pose à l'échelle mondiale. L'OPECST espère que l'espace de formation et de dialogue que constitue le Parlement, et notamment cette audition publique, permettra de faire progresser la réflexion sur ce thème fondamental pour l'avenir de la biodiversité.

Je vais maintenant laisser la parole à mes collègues qui vont animer les tables rondes. M. Bruno Sido, ancien président de l'OPECST, et qui vient, de par nos règles internes, de me laisser la place. Dans notre grande sagesse, l'Office est présidé trois ans par le Sénat et trois ans par l'Assemblée nationale. Il est lui-même agriculteur et il va présider la première table ronde sur les enjeux pour la sécurité alimentaire, ainsi que le cadre réglementaire. Mme Anne-Yvonne Le Dain, a demandé cette audition et je voudrais la remercier. Elle a souhaité que l'on fasse, à un moment donné, le point sur la filière semencière. Elle n'est pas totalement étrangère à ce sujet puisqu'elle a travaillé dans un organisme que j'ai cité initialement. Elle a été également directeur régional de la recherche et de la technologie dans une carrière passée. Elle s'est beaucoup investie, bien qu'elle soit récemment élue depuis deux ans, dans les travaux de l'Office. Elle présidera la deuxième table ronde.

Je donne la parole à Bruno Sido en vous remerciant toutes et tous de vous être déplacés et en vous disant, pour terminer, que nous n'avons pas souhaité avoir autour de la table la totalité des acteurs. J'ai reçu une lettre à ce sujet. Tout le monde peut assister à cette audition publique et contradictoire et avoir la parole. Notre système de fonctionnement consiste à faire quelques exposés introductifs, les plus courts possibles pour que, après, un débat se noue, surtout quand on n'est pas d'accord. L'expertise publique, ici collective et contradictoire - vous n'avez pas tous le même avis - est un des bons moyens pour faire avancer des sujets dans notre pays.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l'OPECST. Merci, monsieur le Président. Quelques propos introductifs avant de donner la parole à M. François Houllier, président de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi) et président directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), et avant de présider la table ronde sur les enjeux pour la sécurité alimentaire, ainsi que le cadre réglementaire.

Je souhaiterais vous accueillir chaleureusement et m'exprimer à plusieurs titres, et tout d'abord, comme l'a dit le président Jean-Yves Le Déaut, en tant que premier vice-président de l'OPECST. Nous travaillons comme les jésuites et les dominicains ; nous allons de haut en bas et tous les trois ans, nous passons d'une assemblée à l'autre. J'étais donc président de l'Office au cours des trois dernières années.

Je m'exprime ensuite en qualité d'ingénieur agronome mais dans cette honorable assemblée, ça ne signifie pas grand-chose ! Et enfin au titre d'exploitant agricole que je suis depuis une quarantaine d'années en Haute-Marne.

Tout d'abord, un mot sur l'esprit dans lequel l'Office organise sa réflexion. Comme vous le savez, notre Office est fondé à s'intéresser à tous les choix scientifiques et technologiques. Il attache un intérêt particulier aux questions environnementales et doit toujours donner la parole de manière équilibrée à toutes les parties prenantes. Telle a toujours été et telle demeurera sa ligne de conduite.

La filière semencière est un thème d'avenir, voire de prospective, ce qui est loin d'être un champ étranger à l'Office. Cette filière doit nous conduire à nous rappeler que l'agriculture est, pour notre pays, une ressource infiniment précieuse que nous devons préserver et développer. Cela laisse ouverts tous les champs de réflexion mais non tous les champs des possibles.

À l'heure actuelle, la tendance consiste à opposer les praticiens aux chercheurs. En matière d'agriculture, elle conduit à considérer les agriculteurs comme des suiveurs alors qu'ils ont été, au cours des siècles, des précurseurs. Ce sont les agriculteurs qui, dans le monde entier et depuis le début de l'agriculture, ont testé de nouvelles solutions, de nouveaux croisements et trouvé de nouvelles espèces, comme le rappelait notre président. Il faut respecter cette tradition et l'enrichir grâce au niveau élevé de la recherche agronomique actuelle, en liaison avec les agriculteurs.

Il ne faudrait surtout pas, au nom d'une recherche relayée par une industrie rationalisée, aboutir à exclure les agriculteurs du lien ancestral qu'ils ont avec la sélection des semences. Chacun voit que je fais notamment allusion à la brevetabilité du vivant et à une restriction des possibles en matière de choix agricoles.

La recherche doit nous conduire vers plus d'indépendance car la souveraineté nationale passe aussi par une indépendance agricole pérenne. C'est une question stratégique. De plus, les choix d'un agriculteur sont étroitement dépendants à la fois de considérations pragmatiques et de long terme. C'est important, d'autant plus que ce comportement est en voie de disparition dans nos sociétés qui ont tendance à perdre de vue l'un et l'autre, dédaignant le pragmatisme et négligeant le long terme.

À cet égard, en tant qu'élu, je déplore vivement que les visions de long terme aient tendance à ne plus conditionner les choix les plus immédiats. Cette attitude fragilise nos sociétés. Or, que font spontanément les agriculteurs ? Ils doivent d'abord tenir compte de la météorologie, ne serait-ce que pour pouvoir pénétrer dans leur champ et y travailler. Ils doivent également tenir compte du long terme pour anticiper le moment des récoltes, prévoir les assolements, respecter la permanence des haies, des boisements sur le faîte des collines. Comment oublier que ce sont les oiseaux à proximité des champs qui assurent l'autorégulation automatique des insectes de nature à nuire aux cultures, que ce sont les boisements qui empêchent l'érosion ?

Surtout, l'agriculteur devra se préoccuper de la richesse première que constitue son domaine agricole. Je n'évoque pas là, comme vous l'aurez compris, le prix de la superficie à l'hectare, comme pourraient le croire les citadins, mais bien l'état même du sol, sa bonne santé, la présence de lombrics car la vie doit y demeurer. Les techniciens, impatients de rendements, tendent à appauvrir ce sol, allant parfois jusqu'à le tuer.

À propos du sol et de la recherche, là encore, tout est question d'équilibre. Comme le sait le président de l'INRA, ici présent, je lui ai proposé qu'une dizaine d'hectares de ma propriété soient affectés à des expérimentations de l'Institut, non pas pour y cultiver des OGM mais pour évaluer les types et les qualités d'intrants nécessaires au sol particulièrement caillouteux du plateau du Barrois. Je lui ai fait cette proposition il y a plus d'un an, au Salon de l'agriculture. Peut-être va-t-il aujourd'hui donner sa réponse ?

Toujours soucieux de coller au terrain, je crois sincèrement qu'il ne faut pas tenter d'imposer des solutions trop générales y compris sur le territoire français. Certains le considèrent trop exigu ou trop divers mais ses traditions comme son potentiel agricole exceptionnel doivent être pris en compte.

Il faut encore moins avoir une attitude simplificatrice au niveau mondial et ne pas tenter de soumettre l'agriculture et les semences, c'est-à-dire la biodiversité de ce secteur vital, à des règles industrielles et financières à visée mondiale qui ne suffiraient sûrement pas à assurer l'harmonie des cycles de l'eau, de l'azote et du carbone indispensables à l'agriculture, donc à notre génération et aux générations futures. Ces cycles vitaux ne doivent être ni pollués, ni interrompus mais en équilibre les uns par rapport aux autres.

Ces quelques considérations générales et essentielles à mes yeux recueilleront peut-être davantage d'échos au cours de la deuxième table ronde à laquelle je ne pourrai malheureusement pas participer. Je suis certain que Mme Anne-Yvonne Le Dain, ma chère collègue, la présidera avec beaucoup de maestria. Mais ces questions devraient sans nul doute être évoquées dans les débats et rester présentes dans l'esprit de tous chaque fois qu'il s'agira de simplifier, de rentabiliser en faisant abstraction soit de la diversité agricole, soit de l'action ou encore de l'opinion des agriculteurs.

J'ai souhaité évoquer ces quelques axes de réflexion pour illustrer la difficulté du thème que nous traitons aujourd'hui. Il ne doit pas, quel que soit l'état des lieux, être conçu hors de perspectives équilibrées de long terme ni sans tous ceux qui doivent y participer et y contribuer.

Monsieur Jean-Yves Le Déaut, merci beaucoup. Je salue la présence de Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice, qui est aussi un des piliers de l'Office, et de M. Pierre Médevielle, sénateur et nouveau membre de l'Office, très, très présent dans nos travaux. M. François Houllier, vous avez la parole pour introduire ce débat.

M. François Houllier, président de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), président directeur général de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA). Merci, monsieur le président de l'OPECST. Mesdames et messieurs les vice-présidents de l'Office, mesdames et messieurs les sénateurs et députés, mesdames et messieurs, chers collègues. J'ai plaisir à revenir dans cette enceinte. Vous nous avez invités au titre de l'Alliance que je préside à intervenir le 3 juillet 2014 sur la question de l'innovation en matière de recherche environnementale. Nous allons traiter cet après-midi d'un sujet un peu plus particulier, d'un segment plus précis, celui des semences et plus généralement des ressources génétiques, de la création variétale et de l'amélioration des plantes. Je suis donc heureux d'être là aujourd'hui.

Je vais intervenir plutôt au titre de président de l'Alliance qu'au titre de président directeur général de l'INRA puisqu'un collègue de l'Institut interviendra tout à l'heure. Je sais que je dois donner une réponse à M. Bruno Sido et nous aurons le temps de le faire dans d'autres circonstances.

Je voudrais insister sur trois points.

Premier point, pourquoi ce sujet est-il aussi important pour l'AllEnvi, qui rassemble l'ensemble des institutions de recherche qui s'intéressent à l'environnement, à l'alimentation, au climat, à l'eau, à la biodiversité, au territoire ?

Deuxième point, quelles sont les recherches publiques menées sur ce sujet ? Cette question sera, je pense, illustrée par mes collègues, du CIRAD, de l'IRD et de l'INRA.

Troisième point, quelle est la nature du partenariat et quel est le modèle d'innovation dans ce domaine ? Je poserai la question plutôt que la traiter au fond.

Premièrement, ce sujet est important - et cet aspect a été bien évoqué dans les propos liminaires - car les semences sont à la fois un bien public et un bien privé marchand. Nous sommes dans cette double acception. C'est un bien public pour les raisons évidentes qui ont été évoquées. Les semences jouent un rôle essentiel depuis les origines de l'agriculture, quelle que soit sa forme. Elles sont
- et nous y reviendrons cet après-midi - étroitement connectées aux questions relatives aux ressources génétiques, à la biodiversité, à la génétique. Nous sommes bien là dans des dimensions de bien public et le lien a été également fait avec la notion de sécurité alimentaire. Et par ailleurs, les semences sont des biens privés.

Je vais illustrer cela par quelques éléments. Les semences constituent une filière économique compétitive et la France est un leader mondial dans ce domaine. J'ai rassemblé quelques chiffres ; ce n'est pas toujours facile car les sources sont variées.

Le marché mondial de semences commerciales a été évalué à près de 60 milliards de dollars en 2012. La part des échanges internationaux est considérable et ils ont crû de manière spectaculaire au cours des dernières années. Ils sont passés de 25 milliards de dollars en 2005 à 45 milliards de dollars aujourd'hui et un tiers de ces échanges concernent les semences génétiquement modifiées, un secteur en très forte croissance.

Je ne reprendrai pas tous les chiffres concernant la France car je pense qu'ils seront évoqués par certains collègues ensuite. C'est un domaine dans lequel la balance commerciale de la France est excédentaire avec 700 millions d'euros par an. Il représente donc une activité économique significative.

Si on se place au niveau des acteurs de la filière et non plus des données macros, on constate qu'il s'agit d'une activité rémunératrice et à haute valeur ajoutée pour les entreprises de sélection et de production, mais aussi pour des agriculteurs. En France, 400 000 hectares sont dédiés à la multiplication des semences. Il y a là un enjeu particulier. C'est une activité particulièrement technique qui pose des questions en termes de formation, notamment dans le domaine des BTS agronomiques et de production végétale. Car multiplier des semences pour produire n'est pas tout à fait la même chose que de produire à des fins alimentaires.

Les semences encapsulent une partie du progrès technique en agriculture. On considère par exemple que pour la betterave, près de la moitié des gains de rendement en sucre sont dus à la génétique, l'autre moitié venant de l'agronomie. Pour d'autres cultures comme les céréales à paille et le blé, pour lequel on observe une stagnation des rendements, il y a un équilibre entre les gains dus à la génétique et ceux dus aux facteurs agronomiques et climatiques. Les semences encapsulent bien une partie du progrès technique. Et pour un même objet - un grain de blé ou une semence de colza - le gain varie de 1 à 3 à 1 à 20 selon qu'il est utilisé pour l'alimentation humaine ou pour l'alimentation du bétail. Les semences ont une valeur technologique particulière.

Le progrès technique conduit aussi à poser la question de la qualité qui sera certainement évoquée tout à l'heure. C'est un enjeu en soi. Des recherches sont menées sur la qualité sanitaire, sur la qualité germinative. Les semences peuvent être porteuses d'autres innovations, plus ou moins débattues, plus ou moins bénéfiques. L'enrobement des semences est une réalité pour des produits phytosanitaires. Par exemple, l'enrobement par des symbiotes qui permettent d'obtenir des fixateurs d'azote est clairement bénéfique. Demain probablement, l'enrobement se fera par des produits de bio-contrôle. On le voit, la semence est un véritable vecteur de progrès technique.

J'ai observé que le récent rapport du député Dominique Potier sur le Plan Ecophyto identifie la création variétale comme un des leviers pour réduire l'usage des produits de synthèse, des pesticides dans l'agriculture. Les semences joueront un rôle dans ce domaine.

Enfin, et cela a été évoqué, les semences sont au coeur de réglementations à forts enjeux. Dans la recherche publique, il y a un attachement au certificat d'obtention végétale (COV). Je préside un organisme qui a été amené à s'adresser à plusieurs reprises au ministre de l'Agriculture et au ministre de la Recherche pour souligner l'importance du COV.

Beaucoup de liens existent entre recherche publique et critères réglementaires. Quand on veut élargir la notion de valeur agronomique et technologique des semences, on est obligé de s'interroger sur les bases scientifiques de la définition des critères qui vont fonder la VAT (valeur agronomique et technologique) ou la VATE (valeur agronomique, technologique et environnementale). Actuellement, une évolution réglementaire européenne est en cours dans le domaine des OGM et elle amène aussi un certain nombre de questions.

Pour toutes ces raisons, l'initiative que vous avez prise est intéressante du point de vue de la recherche publique.

Quelques mots sur les recherches publiques menées sur les semences, et sur les organismes concernés. À certains égards, c'est une façon de poser des questions pour cet après-midi. L'INRA mais aussi le CIRAD, l'IRD, le CNRS, d'autres organismes, les écoles d'agronomie, les universités sont concernés. Si on prend l'exemple de l'INRA et si on parle des semences stricto sensu, les chercheurs qui travaillent sur le sujet sont une dizaine. Si on se tourne vers les chercheurs s'occupant de création et d'innovation variétales, leur nombre s'élève alors à quelques dizaines. Mais si on prend en compte tous ceux qui s'intéressent aux questions des ressources génétiques, de génétique, de l'amélioration des plantes, on compte une centaine de chercheurs. Selon les sujets que nous aborderons cet après-midi, nous varierons entre ces ordres de grandeur, qui sont similaires dans les autres organismes de recherche.

S'agissant de la recherche publique, trois questions me paraissent essentielles. La question des ressources génétiques tout d'abord, qui n'est pas liée à celle des semences. La recherche publique porte - elle n'est pas seule - la conservation d'un certain nombre de collections de ressources génétiques. Pour les seules céréales à paille, cela représente 12 000 accessions de blé tendre et apparenté, 2 800 accessions de blé dur, 6 500 accessions d'orge sans parler des autres. Des questions se posent en termes d'infrastructures de conservation, de caractérisation et de mise à disposition. Dans le dispositif actuel d'infrastructures de recherche publique, ce domaine a été quelque peu oublié par le programme des investissements d'avenir. Il y a là un véritable enjeu si on considère que ces ressources génétiques sont un bien public. Des besoins d'infrastructures dédiées existent en matière de conservation et de caractérisation, de système d'information, de diffusion et de dissémination.

Le deuxième point que je voulais évoquer concernant la recherche publique est l'existence d'un instrument, la Fondation pour la recherche sur la biodiversité (FRB), qui ne traite pas seulement de la question des ressources génétiques ou phytosanitaires. La FRB s'intéresse à l'ensemble de la biodiversité et c'est un outil commun du CIRAD, du CNRS, de l'INRA, du BRGM et d'autres organismes, particulièrement pertinent.

Enfin, le troisième point concerne la question des partenariats. Je pense qu'elle sera présente lors des débats car nous reconnaissons dans la salle des partenaires importants et de nature différente. Il y a les acteurs économiques de la création et de la sélection variétales ; ce sont, d'une part, des entreprises et, d'autre part, des agriculteurs. Dans le cadre du groupement d'intérêt scientifique (GIS) « Biotechnologies vertes » qui réunit le CIRAD, le CNRS, l'INRA, le CEA, nous travaillons ainsi avec un certain nombre d'entreprises privées pour porter, incuber des idées qui feront naître des projets portant notamment sur la création variétale.

Je dis au passage, et je crois que c'est plus utile que ce soit un représentant de la recherche publique qui le dise, que les entreprises impliquées dans la sélection en matière de semences investissent entre 10 et 15 % de leur chiffre d'affaires en recherche et développement. Ce ratio est comparable à ceux que l'on trouve dans les secteurs les plus innovants, comme le numérique ou certains domaines médicaux. Il s'agit d'un secteur où l'on trouve beaucoup d'innovation.

Dans le même temps, le CIRAD, l'IRD, l'INRA travaillent également avec le monde agricole sur ce sujet, y compris sur des projets de sélection participative.

La notion de partenariat doit donc être vue sous toutes ces formes, concernant à la fois les acteurs agricoles, les paysans, et les entreprises. Il est essentiel que la recherche publique traite de l'ensemble de ces partenariats.

Au-delà de ces acteurs économiques, le deuxième grand type d'acteurs partenaires sont ceux en charge de l'évaluation et de la certification des semences. Ils jouent un rôle central. Pour l'INRA, qui mobilise beaucoup d'énergie et de moyens sur ce sujet, il y a d'une part, le Groupe d'étude et de contrôle des variétés et des semences (GEVES) et, d'autre part, le Comité technique permanent de la sélection (CTPS). On compte 117 chercheurs ingénieurs de l'INRA impliqués dans les instances du CTPS. Vous pouvez ainsi voir de quelle manière la recherche publique est amenée à intervenir sur les notions de certification et de réglementation.

Je voulais évoquer deux derniers points sur les partenariats. Un certain nombre de pôles de compétitivité jouent un rôle important et réunissent recherche publique et acteurs privés. Je ne vais pas les citer tous mais en Auvergne, dans la Céréales Vallée, à Angers, à Montpellier, en PACA, à Toulouse, des pôles de compétitivité accordent une place essentielle aux questions des semences, de la diversité génétique et de la création variétale.

L'autre point concerne le modèle d'innovation. Ce sujet sera, je l'imagine, évoqué cet après-midi et il a fait l'objet d'un travail particulier du conseil scientifique de l'INRA.

La recherche publique est attachée au COV. C'est un modèle d'innovation ouverte qui a fait ses preuves. Il est concurrencé par d'autres formes, notamment par le brevet. C'est un enjeu particulier dont mes collègues auront certainement envie de parler.

Nous sommes également fortement sollicités pour appuyer la réflexion de l'administration dans les réflexions sur l'évolution des dispositifs nationaux et européens de régulation. J'imagine qu'ils seront évoqués tout à l'heure.

En conclusion, les semences sont un vecteur de progrès technique pour toutes les formes d'agriculture - en tous les cas, c'est ce que nous percevons - et elles jouent un rôle essentiel en articulant les notions de bien public et de bien privé. Je vous remercie.

PREMIÈRE TABLE RONDE : ENJEUX POUR LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET CADRE RÉGLEMENTAIRE

Présidence de M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président de l'OPECST

M. Bruno Sido, premier vice-président de l'OPECST. Merci monsieur le président. Nous allons commencer la première table ronde. Notre temps est limité et si on veut laisser place à la discussion et aux échanges - c'est un des rôles de ces auditions - je propose que chaque intervenant ne dépasse pas un temps de parole de huit minutes. Je donne la parole à M. Michel Eddi et à M. Philippe Feldmann.

M. Michel Eddi, président directeur général du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). M. Philippe Feldmann, en charge de ces sujets dans l'établissement, va faire une courte présentation. En introduction, je voudrais juste insister sur le fait que la question se pose scientifiquement dans les mêmes termes que ceux présentés par M. François Houllier, avec une dimension complémentaire marquant notre activité.

Nous travaillons en effet en coopération avec les pays du Sud et nous partageons avec eux l'ensemble des sujets sur lesquels nous intervenons. Les questions que nous posons ici à l'échelle nationale se posent avec nos partenaires du Sud dans des termes similaires. Les questions de la gestion de la propriété intellectuelle - COV et toutes les formes de valorisation - doivent faire l'objet d'accords.

Nous coopérons également avec des entreprises françaises de la filière semencière intéressées par les variétés de plantes tropicales sur lesquelles nous travaillons, dans une logique de partenariat public-privé pour un bénéfice partagé sur les travaux de recherche.

M. Philippe Feldmann, chargé de mission Biodiversité, CIRAD. Je rappellerai rapidement, car cela a déjà été dit, que l'agriculture est au coeur de l'enjeu alimentaire mondial avec un nombre d'individus à nourrir en augmentation dans les décennies à venir.

L'agriculture est un secteur économique clé des pays en développement. Actuellement, 47 % des pauvres de ces pays vivent en zone rurale où leurs ressources proviennent essentiellement de l'agriculture. Parallèlement, 20 % de la population mondiale est en situation d'insécurité alimentaire.

Un nouvel enjeu prioritaire est apparu, c'est l'adaptation aux changements globaux ; il ne s'agit pas du seul changement climatique mais aussi de toutes les mutations liées à la démographie et aux activités humaines.

Dans ce contexte, l'enjeu est de créer un nouveau modèle de développement créateur d'emplois agricoles en milieu rural.

On considère qu'il y a trois leviers principaux pour relever le défi de la sécurité alimentaire dans les pays en développement.

Le premier levier se situe sur le plan proprement alimentaire. Il faut produire plus et mieux pour satisfaire les besoins et ce, sur des surfaces limitées et en décroissance. Dans cette perspective, de « nouvelles » sciences se développent : on redécouvre en effet des méthodes qui étaient déjà appliquées. C'est le cas avec l'agro-écologie. Il s'agit d'augmenter la production en réduisant les impacts sur l'environnement et sur les ressources. La notion de « climate smart agriculture » est apparue, consistant à transformer, à réorienter les systèmes agricoles face aux nouvelles réalités des changements globaux.

Le deuxième levier est d'ordre sociétal. Il faut changer les comportements alimentaires, limiter les gaspillages. On évoque les évolutions des régimes pour utiliser moins de calories animales mais aussi la préservation des équilibres sociétaux avec l'agriculture familiale et les emplois liés en milieu rural.

Le troisième levier est d'ordre économique et consiste à faciliter l'accès au marché des produits alimentaires, l'accès aux terres et aux semences, à travailler sur la réduction de la volatilité des prix ou sur l'économie circulaire pour être plus adapté aux enjeux locaux.

Les pratiques de gestion des semences et de l'agro-biodiversité, comme cela été présenté en introduction, ne sont pas nouvelles pour les agriculteurs. Ce sont des pratiques séculaires de gestion de la biodiversité cultivée qui ont favorisé l'adaptation et la résilience.

Actuellement, environ 75 % des semences alimentaires utilisées en Afrique sont échangées dans le système semencier traditionnel ; ce sont des variétés sélectionnées selon des méthodes traditionnelles. On observe néanmoins une évolution vers une intensification progressive et durable des structures de production traditionnelle pour pouvoir satisfaire des demandes associant savoirs locaux et savoirs des chercheurs. C'est le cas particulièrement pour les cultures vivrières et maraîchères et les céréales.

Une évolution est également en cours vers des modèles différents de ceux pratiqués par le passé dans ces pays, avec l'introduction de variétés hybrides, l'utilisation de biotechnologies pour des espèces investies, mais pas toujours, par le secteur privé, ou encore d'espèces dites industrielles (maïs, coton, palmier à huile, ...).

Quels sont les semences et les plants utilisés ? Nous associons les plants, créations végétatives, car le schéma est relativement similaire dans le principe de mise en place d'une culture et d'une production. Quels sont les statuts et quels sont leurs impacts ?

Tout d'abord, il faut rappeler qu'il n'y a pas de production sans semences et sans plants. C'est indispensable pour la sécurisation et la qualité de la mise en place des cultures. Nous avons besoin de semences et de plants en quantité et de qualité.

Nous avons parlé de l'organisation de la filière de production de semences, et de la sécurisation réglementaire et économique qui vont permettre de produire les semences, notamment dans le milieu de l'agriculture familiale sur lequel nous travaillons. C'est une voie privilégiée d'introduction de l'innovation et de l'adaptation, comme l'a dit François Houllier.

Qu'en est-il de la production de semences et de son utilisation dans les pays en développement ? Le secteur semencier commercial est très présent au niveau mondial. Néanmoins, le secteur informel est dominant dans ces pays avec un système assez proche de celui des semences de ferme. L'enjeu actuel est de favoriser la professionnalisation des multiplicateurs de semences, qui sont des paysans, et de favoriser l'accès et l'utilisation de semences de qualité améliorées par les agriculteurs, par une voie de certification ou non. Au cours de ces étapes, les aspects réglementaires ou leur absence, leurs difficultés d'application ou leur appropriation sont des facteurs déterminants.

Quelques descriptions rapides des enjeux des droits de propriété intellectuelle pour l'accès aux semences. Différents acteurs économiques coexistent, avec une forte tendance à la concentration de l'industrie semencière au niveau mondial. Des monopoles économiques sont associés aux innovations végétales. Elles supposent des capacités financières et logistiques qui ne sont pas toujours disponibles dans certains pays du Sud.

On observe également une défaillance de l'information des paysans sur les impacts dans l'utilisation des semences des droits de propriété intellectuelle. Les critères d'évaluation des cultivars, opérationnels ici, ne sont pas toujours transposables tels quels. On peut citer, par exemple, la difficulté d'inscription au catalogue de variétés dites traditionnelles ou de variétés de population.

L'autre enjeu concerne le maintien de l'accès au vivant. Nous avons entendu parler de l'importance des infrastructures, par exemple celle des centres de ressources biologiques pour assurer la traçabilité, la qualité de la conservation et la possibilité de mise à disposition. C'est également très important dans les pays en développement. Une vigilance est nécessaire sur les règles liées à la brevetabilité, sur les clauses contractuelles dans les négociations où les rapports de forces sont déséquilibrés, notamment en zone de petit paysannat. Il existe une clause de petit producteur, introduite par le CIRAD dans certains de ses contrats, dans le cadre de l'EGER Génoplante et biotechnologie végétale.

Il est également important de maintenir des exemptions en matière de recherche sélection et de semences de ferme et d'avoir une réflexion sur les systèmes sui generis adaptés. On pense au TIRPAA, le traité international sur les ressources phytogénétiques utilisées pour l'alimentation et l'agriculture de la FAO mais aussi aux évolutions plus récentes avec la mise en place de réglementations aux niveaux européen et français pour l'accès, le partage des avantages découlant de l'utilisation des ressources génétiques.

Dans les pays en développement, une réflexion existe également sur la mutualisation des capacités d'échange et de gestion des ressources génétiques au niveau de sous-régions ou de régions associant différents pays.

Que fait le CIRAD en matière de sécurité alimentaire ? Je vais essayer d'aller très vite. La plupart des travaux contribuent directement ou indirectement à cet objectif. Ils concernent l'augmentation de la production agricole (avec l'amélioration génétique, la lutte contre les maladies, l'amélioration des systèmes de culture et la réduction des pertes) mais aussi l'amélioration de la compétitivité des productions paysannes, des revenus des agriculteurs et des acteurs de la filière agroalimentaire (amélioration de la qualité et réduction des coûts). Enfin, ces travaux contribuent aussi à l'amélioration de la qualité sanitaire, nutritionnelle et sensorielle des aliments et à la valorisation des produits locaux traditionnels. On le voit, à chacun de ces niveaux, la semence a un rôle important à jouer

Je vais donner quelques exemples opérationnels. Pour le dépôt de titres de propriété intellectuelle, les partenaires du Sud sont associés à des COV ou à d'autres systèmes de protection. Les licences que nous pouvons accorder se font sous réserve de faciliter l'accès aux semences, voire de l'accès gratuit pour les petits producteurs. Il faut procéder à une analyse fine des filières pour éviter de déstabiliser les producteurs locaux de semences, notamment les agriculteurs traditionnels qui sont les premiers producteurs de semences dans ces pays.

Nous veillons également à l'obligation d'information explicite sur les technologies utilisées et les conséquences au niveau juridique comme agronomique. En effet, le CIRAD reste vigilant pour préserver, dans les licences, la situation des petits producteurs, souvent peu informés.

Nous développons des formations pour nos partenaires sur les échanges et l'utilisation des ressources génétiques, l'élaboration de guides de bonne pratique comme par exemple les lignes directrices pour l'accès et le transfert des ressources génétiques, mise en place en collaboration avec le CIRAD, l'INRA et l'IRD. Nous avons aussi d'autres documents plus locaux, par exemple pour la production de semences au Burkina-Faso ou au Mali.

Je suis désolé d'avoir été un peu trop long par rapport au temps imparti.

M. Bruno Sido. C'était très intéressant. Je remercie les orateurs suivants de respecter le temps de parole. Merci au CIRAD. Je donne la parole à M. Bernard Dreyfus et à M. Jean-Louis Pham.

M. Bernard Dreyfus, directeur général délégué à la science de l'Institut de recherche pour le développement (IRD). Je vais compléter rapidement ce qu'ont dit mes collègues du CIRAD car pour l'IRD, les enjeux sont également au Sud. Le président Le Déaut rappelait précédemment qu'il y avait 10 000 ans d'histoire et d'innovation dans le domaine des semences. Cette histoire nous vient du Sud car pratiquement toutes les plantes cultivées trouvent leur origine au Sud. On le voit par exemple pour le blé et l'orge, à partir du croissant fertile, pour le soja et le pêcher en Chine, pour le riz et le sorgho en Afrique, ...

L'exemple du mil montre qu'il existe une interaction entre la plante, les semences, l'environnement et les sociétés. Il est intéressant de voir que parmi les grandes plantes tropicales, un nombre très élevé d'entre elles sont issues de semences fermières. Les Portugais ont introduit le maïs au XVIe siècle et des populations africaines se sont réapproprié les semences d'origine qui représentent encore 30 % de leurs ressources. Cela n'est pas sans poser des problèmes de productivité car ces variétés sont beaucoup moins productives que les nouvelles. Mais cet exemple illustre l'importance que les populations accordent au goût et à certaines caractéristiques de ces variétés qu'il faut sans doute conserver.

La leçon de la révolution verte montre qu'il faut concilier des enjeux potentiellement antagonistes entre production - je dirais productivité - et biodiversité, entre innovation industrielle et innovation paysanne puisque les agriculteurs sont également des sources d'innovation.

Cela rejoint un autre enjeu, la préservation des ressources, dans les pays du Sud mais également en France. Un projet a été mis en place à Montpellier avec la Région, l'Union européenne, l'INRA, qui en est le leader, le CIRAD, SupAgro, Agropolis, et l'IRD. Il s'agit de créer une plateforme ouverte et innovante pour conserver et analyser les ressources biologiques méditerranéennes et tropicales. Ce projet s'appelle Arcade et montre la nécessité de regrouper dans un centre toute la richesse que possède la France avec toutes ses semences issues de différents climats.

Car avec l'Outre-Mer et les collaborations dans les pays du Sud, nous couvrons tous les climats. C'est une richesse exceptionnelle, il est nécessaire de ne pas perdre des collections. J'ai vu au cours de ma carrière des chercheurs disparaître avec leurs collections extrêmement précieuses. Ce type d'outil permettrait de les conserver pour les générations futures. L'IRD a développé une technique de cryoconservation pour conserver les semences qui se conservent très mal ; elle peut être utile à l'ensemble des partenaires ici présents.

Pour illustrer l'importance de l'objet changement climatique, on prendra l'exemple du mil. On s'est aperçu que les paysans, dans la zone sahélienne où est cultivé le mil, faisaient en sorte de sélectionner des variétés qui s'adaptent au changement climatique. Ce lien entre semences et changement climatique est extrêmement important, dans la perspective de la future COP 21.

Je prendrai un autre exemple chez nos collègues tunisiens qui travaillent sur l'orge dans le sud de la Tunisie. Ils ont perdu énormément de biodiversité dans les variétés d'orge et ils sont obligés de demander à l'USB américaine de leur redonner des semences que les Américains ont récoltées dans les années 1960-70, moyennant finances d'ailleurs. C'est un problème pour tout le monde de conserver ce potentiel et de ne pas perdre des variétés adaptées à des conditions climatiques spécifiques.

Autre exemple issu des variétés de céréales dites mineures mais qui sont importantes en Afrique. C'est le cas du fonio où il y a toute une diversité à conserver. On peut aussi estimer que la France n'a pas su conserver une diversité de variétés, dans le cas par exemple des épeautres d'hiver ou de printemps ou de certaines lentilles, notamment fourragères. Nous avons perdu des variétés et il ne faudrait pas que ce soit le cas en Afrique.

Dernier exemple : on a constaté l'intérêt de croiser des variétés de riz éloignées, un riz africain et un riz asiatique notamment.

L'accès à la diversité est également un réel enjeu. Le partage des avantages, le droit à la propriété intellectuelle sont très importants pour les acteurs du Sud. Il faut mettre au point des outils d'aide aux bonnes pratiques ; l'INRA et le CIRAD l'ont fait. Avec la globalisation des systèmes d'information, un effort doit également être fait en faveur d'un accès libre et gratuit aux données de la biodiversité, en particulier génomiques.

En conclusion, je dirais que la France a vraiment besoin d'un centre de niveau mondial pour la conservation et l'analyse des ressources génétiques, à l'instar de ce que font des pays comme les États-Unis, l'Australie, le Japon, les pays du Nord avec l'île de Spitzberg. Ce centre, du point de vue d'instituts comme le CIRAD et l'IRD, devrait également servir aux pays du Sud. Je rappelle l'exemple des Tunisiens qui avaient perdu toutes les ressources génétiques de l'orge dans le sud du pays.

Enfin, l'équilibre reste nécessaire entre la conservation de la biodiversité et l'utilisation des semences améliorées. Cela paraît évident mais, par exemple, pour un organisme comme la Fondation Bill Gates, ce n'est pas le cas ; elle soutient les semences améliorées à 100 %. C'est vraiment dommage car c'est une perte de biodiversité.

M. Bruno Sido. Merci infiniment d'avoir respecté le temps. C'était très intéressant. Je donne maintenant la parole à Mme Emmanuelle Soubeyran.

Mme Emmanuelle Soubeyran, chef du service des actions sanitaires en production primaire au ministère de l'Agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Merci, monsieur le président. J'ai la tâche un peu ardue, toujours ingrate, de présenter la réglementation internationale et communautaire. Je vais directement passer à la présentation des différents axes de la réglementation internationale et communautaire. Il existe trois corpus de textes, de traités et de règlements qui ont trois objectifs bien distincts. Il faut bien le comprendre car on a tendance à passer de l'un à l'autre et cela peut être source de confusion.

Tout un bloc a pour objectif la conservation des ressources phyto-génétiques. Il s'agit de pouvoir conserver au niveau mondial une diversité de ressources p

More news from: France, Government


Published: July 31, 2015

 
 

Better Food Venture's
AgTech Landscape 2019

 

 

2019 THRIVE Top 50
landscape map

 

Concentration in Seed Markets - Potential Effects and Policy Responses

(OECD December 2018)
 

Visualizing Consolidation
in the Global Seed Industry
1996–2018

Seed Industry Structure
1996-2018

Phil Howard
Associate Professor
Michigan State University


 

2017 Seed Company Family Tree
Ccreated Septebmer 2017
by Robert Walsh
WaSoo Farm, Elk Point, South Dakota

Syngenta Brands Family Tree
Ccreated January 2017 by Robert Walsh, WaSoo Farm, Elk Point, South Dakota

 
Rabobank's
World Vegetable Map 2018

 

 


Archive of the MARKETS section

 

 

 


Copyright @ 1992-2024 SeedQuest - All rights reserved